Bernard Tapie, mort d’ une icône de la France des années 80

Flamboyant, hâbleur, Bernard Tapie, incarnation de la réussite sociale dans la France des années 80 avant de déchoir pour corruption, a eu un parcours hors norme en plus de quarante ans de vie publique, passant par la politique et le football.

Atteint depuis 2017 d’un cancer métastasé, Bernard Tapie, décédé dimanche à l’âge de 78 ans, a connu de multiples vies : artistique, judiciaire, politique, entrepreneuriale, sportive et médiatique. Des parcours qui se sont parfois entrecroisés, comme dans “l’affaire de sa vie”, le rachat du géant allemand de l’équipement sportif Adidas en 1990 puis sa revente, début d’un méga-feuilleton judiciaire.

Parti de rien, ce fils d’ouvrier-chauffagiste né en janvier 1943 se lance en 1977 dans la reprise et la revente d’entreprises en difficulté, après avoir tenté de vendre des télés, piloter des voitures de courses ou pousser la chansonnette.

Le banlieusard “aux yeux trop grands” (titre d’un de ses livres) construit un empire industriel à partir des années 80, capitaliste décomplexé et fonceur, appelant un chat un chat : “Quand j’entreprends mes affaires, j’ai une volonté féroce de gagner beaucoup, beaucoup d’argent”, proclame-t-il en 1983. Et il y arrive, jusqu’à s’offrir un hôtel particulier à Paris et un luxueux voilier, le Phocéa.

On le surnomme le “Zorro des entreprises” même si rares sont celles qu’il réussit finalement à faire prospérer. Il devient simultanément une star des plateaux télé - présentant notamment une émission visant à donner le goût d’entreprendre, “Ambitions” - et se taille une place dans le sport. Il monte l’équipe cycliste La Vie Claire, qui emporte deux Tours de France (1985, 1986) avec ses vedettes Bernard Hinault et Greg LeMond.

En 1986, il reprend l’Olympique de Marseille, où certains le vénèrent encore pour avoir fait en 1993 du club de football l’unique vainqueur français à ce jour de la Ligue des champions. Mais à l’OM, comme dans les affaires, éclats et coups tordus pleuvent. Il se brouille avec les entraîneurs, fait croire à Monaco qu’Abedi Pelé est séropositif pour les doubler sur le transfert de la star africaine... A la fin des années 80, Bernard Tapie est au faîte de sa notoriété et son profil atypique séduit jusqu’au sommet de l’Etat. Il se lance en politique sous la bannière “majorité présidentielle” du président socialiste François Mitterrand, avec l’image sympathique du self made man non issu du “sérail”.

En 1989, l’année où il devient député de Marseille, il accepte un débat qui fera date avec Jean-Marie Le Pen dans lequel il rend coup pour coup au chef de file de l’extrême droite, connu pour ses talents oratoires et son sens de la formule. Les années suivantes, il enchaîne les succès politiques mais concomitamment les premiers ennuis judiciaires arrivent.

Nommé ministre de la Ville en 1992, il doit démissionner deux mois plus tard pour des soupçons d’abus de biens sociaux. Il y reviendra brièvement après un non-lieu, avant le premier vrai scandale qui éclate en 1993, lui fait perdre ses mandats électifs et l’envoie 165 jours en prison en 1997 : une tentative de corruption par l’OM d’un match contre Valenciennes.

En même temps, les pertes d’Adidas se creusent et il revend l’équipementier pour l’équivalent de 441 millions d’euros en 1993 à un groupe d’investisseurs qui dissimule son banquier, le Crédit Lyonnais. Mais l’année suivante, alors que Tapie est en liquidation judiciaire, Adidas est revendu pour 701 millions d’euros.

L’homme d’affaires s’estime floué. S’engage alors une interminable bataille judiciaire, ponctué de victoires et d’échecs au pénal et au civil, et d’un arbitrage décrié, qui mettra sur la sellette la ministre de l’Economie devenue entretemps patronne du FMI Christine Lagarde.

Tapie le plaignant initial est renvoyé en correctionnelle en 2017 pour escroquerie et détournements de fonds publics, relaxé deux ans plus tard et rejugé en appel à partir de 2020. Son retrait des affaires dans les années 90 ne signe pas pour autant la fin de cet homme marié deux fois et père de quatre enfants.

Tapie, “le phénix” (titre d’une de ses nombreuses biographies et d’une chanson de sa fille, Sophie), fait de la radio, de la télé, monte sur les planches et joue sur grand et petit écran, où il incarne notamment le “commissaire Valence” dans une série qui tiendra de 2003 à 2008. Il revient aux affaires en 2009, acquérant en 2012 des titres de presse, dont La Provence, à Marseille.