Ceux qui ont connu Roger Milla du temps de sa splendeur dans les stades de football se souviennent qu’il était un magicien du ballon rond, un renard des surfaces de réparation dont les dribles assassins soulevaient les foules de spectateurs en délire et jetaient la panique dans le camp adverse. A ce stade où l’électricité était dans l’air, soit Roger Milla marquait le but soit il obtenait un penalty !
Roger Milla est le pendant africain du Roi Pelé (Edson Arantes do Nascimento) et de Maradona. Quand le Cameroun était mené au score, nous ne désespérions pas tant que le coup de sifflet final n’avait pas retenti, car Roger’s avait l’habitude de marquer des buts surprenants à la 90ème minute ! Cet homme était dangereux, redoutable et craint.
Un jour, alors que le Cameroun livrait un match décisif contre la Libye à Tripoli, et que Roger Milla faisait de dangereuses incursions dans la défense libyenne, on vit, ahuris, un furieux spectateur qui avait déjoué la vigilance de la Sécurité et s’étant introduit dans l’aire de jeu, armé d’un long poignard effilé, poursuivre Roger Milla, le poignard levé haut, prêt à le frapper dans le dos. Et Roger Milla s’enfuyait devant lui de toute l’agilité de ses jambes sportives pour sauver sa peau, poussé par l’énergie que procure l’instinct de survie. La sécurité finit par neutraliser le forcené.
D’où l’on voit que la dialectique sportive peut produire des effets de réalités violentes, faire jaillir des passions souvent incontrôlées, ce qui explique qu’on soit adulé, ovationné, applaudi dans un camp et conspué, hué, chahuté et insulté dans l’autre.
Pendant la Coupe du monde de 1994 aux Etats-Unis, il y eut un match décisif opposant la Colombie à l’équipe des Yankees. Cette même équipe de Colombie avec son célèbre gardien de but René HIGUITA qui n’a pas oublié le fameux but de Roger Milla à la coupe du monde en Italie 1990. Les deux équipes s’affrontaient courageusement le 22 juin 1994 lorsque le joueur Colombien, Andrés Escobar, voulant dévier en corner un violent tir américain marqua malencontreusement contre son propre camp ! Ce but eut pour effet d’éliminer la Colombie de la coupe du monde 94.
Le 02 juillet 1994, Andrés Escobar est froidement abattu de douze coups de pistolet par un énergumène, au prétexte qu’il avait marqué par inadvertance un but contre son camp, but ayant entraîné l’élimination de son pays, la Colombie ! Il n’avait que 27 ans. Escobar qu’on surnommait «Le Chevalier du terrain» ou encore le « Gentleman du football» pour son élégance sur le terrain, était un joueur au talent inégalable. Après avoir purgé onze ans de prison, son assassin fut libéré pour bonne conduite. Escobar n’est pas ressuscité ! Il est mort définitivement.
D’où l’on voit que l’intolérance d’un anonyme peut conduire à la mort de l’homme public, sans autre forme de procès, et que les hommes publics sont exposés à une mort des plus hasardeuses à cause du fanatisme.
Appliqué à la politique, on ne compte plus le nombre de morts provoquées par des inconnus que l’homme public indispose par sa politique ou par ses actions. De l’Assassinat d’Abraham Lincoln, de Martin Luther King à Malcom X, de la tentative d’assassinat du président américain Ronald Reagan à celle du pape Jean Paul II, nous voyons qu’il y a de nombreuses personnes déséquilibrées et fanatisées qui s’attaquent injustement aux hommes publics.
Et c’est là où l’on peut interroger la nature du pouvoir dont les hommes publics sont crédités lorsque dans l’exercice de leur sacerdoce, car il s’agit bien d’un sacerdoce, ils sont l’objet de violence, d’opprobre et de toutes les abjections. La vérité est que l’homme public est toujours innocemment et injustement coupable dans les cerveaux que le fanatisme a construits. Et Jésus-Christ lui-même n’y a pas échappé puisqu’il fut l’objet de toutes les tortures avant d’être crucifié par les siens. L’homme public est coupable, sans procès, juste parce qu’il est dans l’action et qu’il pratique l’art de conduire la conduite des autres. Pendant que les uns veulent qu’il aille à droite, les autres exigent qu’il aille à gauche et le choix qu’il fait signe son arrêt de mort par les extrémistes de tous bords.
Tel est le dilemme de l’homme public, condamné à périr, quel que soit son choix, de la main des uns ou des autres.
La prise de conscience de cette réalité conduit l’homme public à faire ce qu’il a à faire, advienne que pourra, sans plus se poser de questions sur son funeste sort. Aléa jacta est ! On signe son arrêt de mort lorsqu’on fait le choix d’exercer une fonction politique, et plus on s’élève dans le champ politique, plus le risque de mourir au hasard d’une rencontre, de la main criminelle d’un parfait inconnu, est grand. On n’est jamais à l’abri des actes irresponsables d’un déséquilibré.
L’homme public est la victime sacrificielle au service des hommes, l’agneau de Dieu qui enlève les péchés des hommes, du simple fait qu’il a la responsabilité de gouverner le destin des hommes. Il est de ce fait coupable aux yeux de ceux qui ne sont pas satisfaits et Dieu sait que l’homme est difficile à satisfaire. Le président haïtien Jovenel Moïse vient d’être assassiné, coupable d’avoir été dans l’action. Le président Paul Biya, en séjour privé en Europe, fait l’objet de toute sorte d’invectives et d’attaques de la part de ceux qui ne sont pas favorables à sa politiques. Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy ou François Hollande, ont éprouvé l’intolérance méprisante de ceux qui pensent autrement qu’eux. Plus proche de nous, quels sont les ministres de la communication qui ont été aussi insultés, vilipendés et méprisés que le Professeur Augustin KONTCHOU KOUOMEGNI et Issa TCHIROMA BAKARY ? Ceux-là sont coupables d’avoir fait leur travail, c’est-à-dire d’avoir défendu leur gouvernement face à une armée d’extrémistes qui ne rêvent que de le reverser pour s’installer à la place.