Antoine Sallé de Chou, Chef du Bureau de la BERD en Tunisie, à La Presse : « Quand personne ne veut aider la Tunisie, on appuie sur l’accélérateur »

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Il faut tout faire pour aider la Tunisie à retrouver le chemin de la croissance.
Plusieurs projets ne voient pas le jour pour des raisons de blocages institutionnels.
Il n’y a  aucun sens de penser que les institutions financières sont les ennemis de la Tunisie.
Il vaut mieux s’endetter pour un projet d’investissement qui a une rentabilité économique de 4% ou de 6% plutôt que de s’endetter pour des dépenses courantes

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) a pour mandat en Tunisie de renforcer en priorité le secteur financier et de contribuer au financement des entreprises privées. La crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 a été l’occasion pour la banque de réaffirmer son engagement en finançant directement la trésorerie de certaines entreprises. Une grosse enveloppe de 300 millions d’euros a été même consentie, pour renflouer la trésorerie de la Steg, une entreprise publique, et l’aider à engager des réformes.  Dans cet entretien accordé à La Presse, Antoine Sallé de Chou, chef du Bureau de la Berd en Tunisie, insiste sur l’importance de l’intervention de la Berd, mais également des autres institutions financières mondiales, et exhorte surtout les autorités tunisiennes a libérer les projets déjà signés, qui restent souvent otages des blocages administratifs.

Quel a été votre engagement durant l’année 2020 en Tunisie ?

En soutien à la Tunisie, à travers la crise du Covid, nous avons eu un engagement de près de 350 millions d’euros. La Berd a été la première institution internationale en Tunisie à développer une réponse dédiée à la crise du Covid. Dès le 10 mars 2020, nous avons développé ce qu’on appelle le pack de solidarité qui, en fait, a repositionné complètement notre offre de soutien et de financement. Traditionnellement, le financement était tourné vers l’investissement, nous sommes une banque qui soutient les projets d’investissement, nous avons redirigé ce financement vers le soutien en trésorerie et en restructuration financière. Le constat a été que sur cette année et sur cette crise exceptionnelle que nous traversons, la plupart des plans d’investissement ont été différés. En revanche, le besoin a été sur la liquidité, pour s’assurer que les entreprises qui sont viables avec un bon business modèle puissent survivre à cette crise du Covid. Dans certains secteurs, en raison du confinement, il y a eu un arrêt total de l’activité.

C’était une offre dirigée à la fois vers les entreprises publiques et le secteur privé. Nous avons notamment développé un très gros projet de soutien à la Steg de 300 millions d’euros. Il s’agit d’un projet très nouveau pour nous, où nous avons financé pour la première fois de la trésorerie et une  restructuration financière. Mais c’était très important, car la Steg a été en première ligne de la crise Covid, notamment pendant le confinement, où ses usagers ont eu de grandes difficultés pour payer leurs factures, soit parce qu’ils ne pouvaient pas se déplacer, soit parce que eux-mêmes avaient des problèmes de trésorerie. Cela a créé un trou de liquidité pour la Steg. Nous sommes donc venus avec un programme de stabilisation de la liquidité de l’entreprise, et nous avons également rallongé la durée de maturité de la dette pour lui donner une bouffée d’oxygène.

Par ailleurs ce n’est pas un chèque en blanc, au contraire, nous avons utilisé ce programme avec le gouvernement et la Steg pour accélérer la modernisation et la réforme de l’entreprise et en faire un exemple de ce que nous pouvons faire en matière de réforme des entreprise publiques en Tunisie. Ces 300 millions d’euros sont débloqués par tranches, en fonction des progrès observés dans le plan de réforme. Nous pensons que lorsqu’on veut réformer une entreprise publique, tout commence par la gouvernance.

Nous allons également aider la Steg  à avoir une meilleure visibilité, ce qui lui fait gagner de l’argent et ce qui lui en fait perdre. Il y a à ce titre un grand prêt de l’Union européenne de 20 millions d’euros qui va venir financer un système d’information extrêmement moderne.

Dans le secteur privé, qui est le cœur de notre mandat, nous avons développé des lignes de financement dédiées aux PME pour cette crise, que nous avons distribué via le secteur du leasing et la microfinance en particulier. 

Nous avons aussi déployé un niveau record de financement des opérations de commerce extérieur, 25 millions d’euros. Pendant la crise, nous avons vu beaucoup de disruptions au niveau du commerce extérieur avec des banques qui, vu l’incertitude, ont arrêté de confirmer certaines  opérations, nous sommes donc venus suppléer ces banques.

Dernier aspect de notre intervention, nous avons complètement redéployé notre programme d’assistance technique aux PME. Vous savez, nous avons ce grand programme financé par l’Union européenne à travers lequel nous avons déjà soutenu plus de 1200 PME en Tunisie. L’idée était de repositionner ce programme pour aider les PME à passer la période du Covid, notamment à travers le développement de plans de restructuration, mais également de l’appui pour les aider à continuer à vendre pendant la crise, avec l’accélération de la digitalisation et l’utilisation du e-commerce. 

Nous avons également signé un accord avec le ministère du Tourisme et l’Organisation mondiale du tourisme pour le développement d’une stratégie de relance post-Covid.

Comment se fait-il qu’en dépit des perspectives négatives de l’économie Tunisie, la Berd continue malgré tout de soutenir la Tunisie ? La Tunisie ne risque-t-elle pas de se retrouver dans une situation de surendettement  et d’incapacité à honorer ses engagements ?