MV Wakashio: l’histoire d’un naufrage racontée par l’équipage…

Que s’est-il vraiment passé en ce soir fatidique? C’est ce que tente de déterminer la cour d’investigation. Et, au fil des témoignages, cette semaine encore, des faits reviennent, provoquant des remous. Les marins se noyaient-ils, par exemple, dans du whisky?

À chaque audition, les travaux de la cour d’investigation pour enquêter sur le naufrage du MV Wakashio apportent leur lot de révélations. Devant le président de la cour, l’ancien juge Abdurafeek Hamuth, et ses deux assesseurs, Jean Mario Geneviève, Marine Engineer, et Johnny Lam Kai Leung, Marine Surveyor, les langues se délient. Les marins clouant tantôt au pilori le capitaine du vraquier, Sunil Kumar Nundeshwar, s’emmêlant tantôt les pinceaux. Au fil des dépositions, les membres de l’équipage reviennent sur la fameuse soirée d’anniversaire…

Le MV Wakashio fait route vers le Brésil. Les plans de navigation sont minutieusement préparés par le second officier Robert Secuya. D’après ses plans, le vraquier doit passer au nord de Maurice et à 20 milles nautiques des côtes. Mais alors qu’il se trouve en Chine, le capitaine décide de changer les plans de navigation, pour se diriger vers les côtes mauriciennes, histoire, insiste-t-il, de capter le Wi-Fi. Il refuse également de passer par le nord car il a peur des pirates… C’est ce qu’il affirme, du moins.

Le 25 juillet 2020, le vraquier se trouve dans nos eaux territoriales. La journée s’annonce normale pour les membres de l’équipage du vraquier japonais. Jedd Timothy Ganzola est chargé d’effectuer des travaux de maintenance sur le mastodonte de 300 m de long, de 8 heures à 17 heures. En tant que marin, il doit aussi assurer une veille de sécurité sur les entrées et sorties du vraquier. Pas question que quelqu’un se glisser à l’intérieur. Ce jour-là, il se trouve sur le pont, à peindre des tuyaux. Jason Buta, graisseur (oiler) se trouve, lui, dans la salle des machines en compagnie du second ingénieur. C’est lui qui reçoit les instructions de réduire la vitesse de 72 RPM (révolutions par minute) à 68 RPM. Son job consiste à surveiller la pression et de tout noter. Il vient de relever son collègue, Steve (pas Rocky, non) Balboa, qui, lui, surveille les équipements. De 9 heures à midi, il effectue des tâches supplémentaires dans la salle des machines et la salle de contrôle. Il prend sa pause-café après 15 heures. Le Marine Engineer, Jaime Hipolito Jr, termine pour sa part son shift de midi. Il se trouve dans sa cabine. Ce n’est qu’à 20 heures que son second shift débute.

C’est tout de même un jour spécial pour les membres de l’équipage car l’un des leurs célèbre son anniversaire. Il faut fêter ça. Le chef cuisinier, Jose Gonzaga Carullo Jr, se trouve dans la cuisine en compagnie de Tandell, son mess man. Comme tout le monde, il a appris à travers une annonce qu’il y a la soirée d’anniversaire. Le capitaine Sunil Kumar Nundeshwar se charge de l’informer personnellement du fait qu’il doit préparer un menu spécial pour 17 heures. Avec Tandell, il se met aux fourneaux.

Soudain, il entend un «beep» sur son téléphone, qui contient une carte SIM des Philippines. Il reçoit un premier message, entre 17 heures et 17h30, signe que le portable capte le signal. Au même moment, Jedd Timothy Ganzola, qui se trouve sur le pont, essaie également de capter le réseau internet sur son téléphone avec sa carte SIM. Il essaie, en vain, d’envoyer un message. Son AIS (Automatic Identification System) ne fonctionne pas malgré ses nombreuses tentatives. En fait, Maurice ne figure pas sur la liste des pays captant ce type de signal. Pour info, le Système d’identification automatique est un système d’échanges automatisés de messages entre navires par radio VHF, qui permet aux navires et aux systèmes de surveillance de trafic de connaître l’identité, le statut, la position et la route des navires se situant dans la zone de navigation. Pour les navires de commerce, le système doit pouvoir être interfacé à un ordinateur externe pour une éventuelle utilisation par un pilote.

Mais revenons à bord. À l’heure du dîner, les membres de l’équipage descendent au mess. Lorsque le chef cuisinier entre dans la salle commune, la table est dressée, les boissons installées. Whisky, bière, tout y est. Le capitaine, le chef ingénieur et d’autres marins ont déjà pris place. Une dizaine de personnes sont présentes, sur la vingtaine qui se trouve à bord.

Assis à une table, Steve Balboa et Robert Secuya jouent aux échecs. De temps en temps, ce dernier avale une gorgée de bière Heineken. Plus loin, le chef ingénieur sirote du Johnny Walker avec le capitaine. C’est le bosun (maître d’équipage), Lindre Decastillo Bajon, qui s’est occupé au préalable de faire le stock de provisions, incluant les boissons alcoolisées, alors que le vraquier était ancré au port de Singapour, où il se ravitaillait en carburant.

Le stock comprenait du coca-cola, de l’eau minérale, plusieurs boîtes contenant plusieurs bouteilles de vin, de whisky ainsi que cinq packs de 24 canettes de bière. Ce soir-là, Arwin Ken Cuaton, wiper (essuyeur) prend un «peg» de whisky. La compagnie Nagashiki Shipping Ltd avait une politique concernant l’alcool. Vers les 18 heures, le chef ingénieur et le capitaine jouent aux échecs devant la TV room. Chacun engloutit deux whisky on the rocks avant de quitter la salle, verre à la main.

L’ambiance est joyeuse dans les salles communes. Roel Decrepito Santuyo, marin, s’essaie au karaoké. Vers 19h30, le maître d’équipage, Lindre Decastillo Bajon, qui se trouve toujours dans le crew mess room, entend des bruits bizarres: le bateau vient de heurter «quelque chose» à trois reprises. Au même moment, Arwin Ken Cuaton, wiper donc, ressent également des «heavy vibrations» alors qu’il joue aux échecs avec le chef cuisinier, Jose Gonzaga Carullo Jr.