Ce n’est pas un au revoir mais un adieu

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CE N’EST PAS UN AU REVOIR MAIS UN ADIEU

Par Jeff Mackenley GARCON

Jeudi 4 février 2021 ((rezonodwes.com))– Aéroport International Toussaint LOUVERTURE, salle d’embarquement, bientôt midi. «Tous les passagers du vol…sont priés de…» raisonne le haut-parleur en guise d’un dernier avertissement aux voyageurs. Le moment des bousculades et des grandes séparations sonne. 

«Chéri, rassemble les enfants», ordonne une dame, la trentaine, à son mari. À quelques mètres, deux vieillards, se tenant à peine debout, s’emparent lentement de leurs valises.  Tout à coup, un jeune homme, en sueur et époustouflé, fait son entrée. «Marco, mais où étais-tu? T’as failli rater le vol», crie une femme qui l’aperçoit.

Et juste au milieu de la salle, Dine et sa mère s’entrelacent. «Au revoir maman», lance-t-elle en larmes, sachant pertinemment que c’est la dernière fois qu’elle la voit.

Masque au visage, passeport et ticket en main, le cœur brisé, la native de Mirebalais prend l’avion. Direction: l’Amérique du sud. Dine laisse Haïti pour toujours. Troubles socio-politiques endémiques obligent.

Sa mère retourne à la maison, déboussolée, découragée, abattue au plus au point. Elle ne verra pas sa princesse diplômée ni ne pourra assister à son mariage. Le pire, aucune chance pour elle de tenir dans ses bras ses futurs petits-enfants.

Bon, mieux vaut ce tableau que de s’endetter pour pouvoir payer des ravisseurs. À présent, elle dormira sur ses deux oreilles. Sa fille est à l’abri, loin des bouffeurs de rêves, des « krazèt peyi ».

Dine, quant à elle, se dirige vers une toute autre réalité. Là-bas, l’espoir est au rendez-vous. L’ordre, la justice, la stabilité, la sécurité y règnent. L’électricité abonde. Dans ce pays qu’elle s’apprête à adopter, l’être humain est traité comme tel.

Dine rêvait de servir sa patrie. Être comptable, sa passion de toujours. Mais des politiciens et hommes d’affaires sans scrupule lui ont barré la route. Une seule option lui était offerte:  « Desann kilòt ou si w vle pase ». Elle a vite compris qu’on ne voulait pas d’elle ici. Le pouvoir à n’importe quel prix, le monopole économique, armés des jeunes à des fins électorales, telles sont les priorités absolues dans sa terre natale.

Au diable les intellectuels! Au diable les honnêtes gens! Allez voir ailleurs. 

Résultats: de nombreux haïtiens, éparpillés au Brésil, au Chili, en Argentine, en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, en République Dominicaine….

À la base: « amatè ki lage nan dirije peyi ». 

Les familles continuent de se scinder pour toujours. Des amis d’enfance , des vieilles connaissances se perdent de vue.

Dine réussira à coup sûr. Dine vivra. Mais le fait qu’elle ne verra plus sa mère la hantera. Dine n’oubliera jamais ce jour où dans cet aéroport, elle a menti en disant au revoir maman.

Jeff Mackenley GARCON
journaliste, étudiant en histoire à l’IERAH-ISERSS de l’Université d’État d’Haïti (UEH).
jeffmacken10@gmail.com

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