Monsieur le Président de la République
Comme vous le savez, depuis le 14 janvier dernier, une vague d’arrestations sans précédent a eu lieu suite aux mouvements sociaux et de protestation légitimes de la jeunesse. Des arrestations arbitraires et abusives ont touché de nombreux jeunes dont environ 300 mineurs des quartiers populaires et marginalisés mais aussi des militants de la société civile.
Ces arrestations ont été suivies de procédures expéditives et des condamnations à la prison ferme ont été prononcées, sur la base de procédures illégales, de dossiers bricolés, en l’absence de preuves tangibles, selon de nombreux avocats. Des condamnations souvent sur la foi d’allégations des policiers qui ont procédé aux arrestations arbitraires touchant parfois des mineurs. Certains ont même fait état de recours à la torture. Cette réponse sécuritaire aux revendications légitimes des manifestants et ce simulacre de justice sont indignes de notre pays et de notre Révolution.
Ces pratiques de la police et de la justice renouent avec une histoire, pas si lointaine qu’on croyait révolue depuis la révolution. Tout cela fait craindre des dérives autoritaires et répressives au profit de forces antirépublicaines.
Monsieur le Président de la République,
Vous êtes le garant de la Constitution, de son application et du respect des principes et des droits qu’elle contient et notamment les libertés et les droits fondamentaux.
Vous êtes le garant de la liberté d’expression et du droit de manifester, partie intégrante des principes fondamentaux structurant la société tunisienne depuis la révolution. Vous incarnez l’autorité qui impose le respect de ces acquis dont notre jeunesse a payé lourdement le prix.
Ces acquis sont aujourd’hui remis en cause par une réponse sécuritaire du gouvernement aux revendications légitimes de la jeunesse. Et ce, avec la complicité d’une justice qui semble, en partie, jusque-là, otage de la corruption et des corrompus.
Sachant votre attachement, souvent réaffirmé, à l’Etat de droit et aux libertés individuelles et collectives, vous ne pouvez tolérer que des jeunes puissent aujourd’hui être condamnés pour avoir exercé un droit constitutionnel et une des libertés fondamentales. Vous ne pouvez accepter que des jeunes soient condamnés à la suite de procédures judiciaires illégales. Beaucoup ont été arrêtés chez eux, brutalisés et torturés, sans avoir accès à un avocat… et condamnés sur la base de dossiers quasi vides, sans éléments probants.
Notre jeunesse est, comme l’affirme la Constitution de 2014, « une force vive dans la constitution de la Nation ». N’avons-nous pas d’autres réponses à apporter à leurs attentes, hormis le bâton et la prison ? Dix ans après la Révolution, des jeunes s’entassent dans des embarcations de fortune, au péril de leur vie « Harga » dans l’espoir d’un avenir meilleur ailleurs. Sommes-nous réduits à proposer à nos enfants l’exil ou la prison comme alternative ?
Sommes-nous condamnés à voir les droits fondamentaux ainsi piétinés au nom du maintien de l’ordre ? Sommes-nous réduits à tolérer que le droit et les lois soient bafoués en toute impunité ?
Tunisiennes et Tunisiens résidant à l’étranger, partie intégrante de notre peuple, membres d’associations de l’immigration tunisienne, d’organisations politiques tunisiennes ou simplement citoyennes et citoyens, nous vous adressons cette lettre ouverte collective et vous demandons de bien vouloir user de votre pouvoir et droit de gracier tous les jeunes arrêtés et jugés d’une manière indigne d’un Etat de droit.
Exercer votre droit de grâce constituerait un signe fort d’apaisement et favoriserait la conciliation avec la jeunesse. Cela remettrait le pays sur la voie de l’Etat de droit et mettrait fin à ces usages synonymes de dérives répressives.
Confiant en votre sens de l’Etat et de l’unité du pays, nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Président de la République, nos salutations respectueuses.
Collectif de soutien aux mouvements sociaux en Tunisie.
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