Mardi. Le capitaine Sunil Kumar Nandeshwar est auditionné pour la première fois par le président Me Abdurafeek Hamuth et ses deux assesseurs, Jean Mario Geneviève, Marine Engineer, et Johnny Lam Kai Leung, Marine Surveyor. L’objectif de la cour d’investigation : faire la lumière sur l’échouement du MV Wakashio, survenu le 25 juillet 2020… Qui est donc l’homme que l’on tient responsable de cette catastrophe ?
Le capitaine a enfilé une chemise blanche, parsemée de pois bleus. Des jeans noirs complètent la tenue décontractée. Le no 1 du vraquier japonais s’avance d’un pas rapide et ferme vers le box. Il a perdu beaucoup de poids depuis qu’il passe ses journées entre les murs du Moka Detention Centre. Ses cheveux, désormais gris, sont noués en catogan. Poliment, il salue la cour. Il écoute attentivement les questions de l’Assistant Solicitor General, Rajkumar Baungally. Et à chacune de ses réponses, il se tourne vers le panel.
Sunil Kumar Nandeshwar affiche un air serein, esquissant parfois un sourire. Il se défend comme il peut, tous les membres de son équipage, y compris son second, Tilakaratna Subodha, l’ont enfoncé lors de leurs précédentes auditions, affirmant que c’est le capitaine qui est responsable du naufrage du Wakashio. Face à des questions embarrassantes formulées par- fois d’une voix ferme, la sienne reste posée, comme une mer calme. Sur son visage, de la peine, de la gêne : il concède avoir été négligent. Me Abdurafeek Hamuth l’accuse d’avoir dépassé la limite autorisée quant à la consommation d’alcool, mais le capitaine insiste sur le fait qu’il en consommait «durant son temps libre»…
L’expérience du capitaine ne date pas d’hier. Sunil Kumar Nandeshwar a fait ses premières armes dans la marine marchande en 1985. Dix ans ans après, il devient capitaine au sein de la Bernherd Schulte Shipmamagement (India) PVT LTD, à Mumbai. Depuis 25 ans, il vogue sur les mers du Sud, du Nord, à bord de plusieurs navires, notamment ceux dits de taille «capesize» (NdlR, des vraquiers trop gros pour passer par le canal de Suez ou celui de Panama, donc dépassant les tailles Panamax et Suezmax. Ils doivent emprunter le cap de Bonne-Espérance pour contourner l’Afrique et le cap Horn pour contourner l’Amérique).
Le 2 décembre 2019, le capitaine grimpe à bord du MV Wakashio pour un contrat de cinq mois. Il navigue à trois reprises du Japon en Australie, effectue deux voyages de l’Australie au Japon et c’est en naviguant vers le Brésil depuis la Chine qu’il s’échoue près côtes mauriciennes. Son contrat devait se terminer en mai. Sauf qu’entre-temps, la pandémie de Covid-19 fait rage dans le monde. Résultats : les frontières sont fermées et de nombreux avions sont cloués au sol. Avec l’équipage, il est contraint de rester à bord, impossible de rejoindre un autre navire ou d’aller à terre.
Quoi qu’il en soit, Sunil Kumar Nandeshwar assure qu’il avait à cœur le bien-être de son équipage, surtout pendant cette période de pandémie. «Je prends toujours soin de mon équipage (…) Je motive mes marins, je les ai toujours bien traités», dira-t-il lors de son audition. Pour que le moral des troupes soit au beau fixe, le capitaine leur proposait de la bonne bouffe et de «la bonne bouteille», pour tenir le coup. «Avant, la nourriture était infecte à bord du Wakashio. Quand je suis arrivé, les choses ont changé.»
Et puis, au moins une fois par mois, quand ils jettent l’ancre quelque part, il y a une petite fête, pour célébrer des anniversaires, notamment. C’était le cas juste avant que le Wakashio ne s’échoue au large de Pointe-d’Esny en ce soir fatidique. Le capitaine fait également ressortir qu’il s’est toujours fait un devoir de faire en sorte que les membres de son équipage puissent communiquer avec leurs proches. «Je m’assure que les agents leur apportent des cartes SIM pour qu’ils puissent parler à leur famille.»
Il confie que le vraquier a l’habitude de s’approcher des côtes pour capter le réseau. «Pas pour moi mais pour l’équipage…» Depuis le 22 décembre, le capitaine répond d’une accusation provisoire de «violation of innocent passage». Il encourt désormais une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans ou une amende de Rs 30 millions. Ainsi, depuis six mois, ce vieux loup de mer fait le va-et-vient depuis sa cellule jusqu’à la cour de district de Port-Louis. «I have to prove to the world that it was an accident and I am not a criminal», lâchera-t-il le 7 octobre 2020. Mais à chacun de ses passages en cour quant aux motions concernant sa remise en liberté, il est débouté par la magistrate.
Dans une déclaration faite le 31 août 2020, le secrétaire de la Maritime Union of India (MUI), Amar Singh Thakur, fait valoir que le capitaine a une «incident-free career in the merchant navy for over 40 years, and around 25 years in command as ship’s captain». Il a effectué avec succès plus de 100 voyages à travers le monde jusqu’à ce jour. Le capitaine est détenteur d’un Masters in Marine de la Sainik School Rewa, à Madhya Pradesh.
Sunil Kumar Nandeshwar ne baisse pas les bras. Il souhaite laver son honneur, souillé comme notre lagon. Sa force il la puise auprès de sa famille avec qui il serait en contact via WhatsApp, lorsqu’il est en présence de ses avocats ou des policiers. Si le moral ne fait pas naufrage, c’est grâce à son épouse, le Dr Namrata Nandeshwar, de son fils et de sa fille, qui étudient en Inde.