FRANCE :: PREDICATION DU DIMANCHE 31 JANVIER 2021 PAR LE REV. DR JOËL HERVE BOUDJA

Textes : Deutéronome 18,15-20 ; 1 Corinthiens 7,32-35 ; Marc 1,21-28

Les lectures de ce dimanche concernent toutes la qualité du prophète. Le prophète sera, comme Moïse, quelqu'un qui se fait le porte-parole de Dieu, intermédiaire nécessaire en raison même de la grandeur de Dieu (comme le rappelle l'allusion à l'épisode du Buisson ardent).

C'est Dieu qui le choisit et qui parlera par lui. S'il peut prétendre à l'écoute, c'est que lui-même n'est qu'écoute de Dieu. La grande tentation consiste en effet à attribuer à Dieu des propos purement humains.

Le prophète, avant de parler, est d'abord celui qui écoute, qui se fait « oreille attentive » à la Parole de Dieu. Corrigeant une image populaire du prophète comme « prédisant l'avenir » (trouvant son origine dans une interprétation simpliste du rôle d'Esaïe), ce texte recentre la mission du prophète comme porte-parole de Dieu.

La lettre de Paul aux Corinthiens souligne une autre qualité du prophète : il doit être libre par rapport aux soucis de ce monde.

Cet extrait a bel et bien servi à la justification théologique du célibat consacré. Nos contemporains n'apprécieront pas la dévaluation implicite du mariage qu'il contient.

Il faut préciser que le mariage chrétien (et donc la spiritualisation du mariage comme signe humain de l'Alliance entre Dieu et l'homme) n'existait pas encore à l'époque de Paul. Il se situe donc par rapport à la conception antique et païenne du mariage où l'amour n'avait pas beaucoup de place. Il ne faut donc pas nécessairement y voir une dévaluation de l'amour humain.

Tout chrétien étant appelé à être prophète (au sens où sa vie doit parler de Dieu), chacun  aura le souci, quel que soit son état de vie, de ne pas se laisser emprisonner par les soucis du monde mais de garder en vue l'essentiel c'est-à-dire, entre autre, l'écoute de la Parole de Dieu.

En ce sens, toute situation (mariage comme célibat) peut et doit devenir prophétique (c’est-à-dire parler de Dieu) et aucune ne l'est automatiquement. L'évangile, de son côté, met le doigt sur ce qui fait le fondement de l'autorité de la parole prophétique, à savoir : la concordance entre la parole et les actes. Jésus a une parole de Salut ; il a des actes de Salut. Celui qu'il pose ce jour de sabbat dans une synagogue par rapport à un esprit impur est très riche en enseignements. Cette scène du premier chapitre de l’évangile de Marc est, comme dans une bonne pièce de théâtre, une merveilleuse scène d’exposition!

C’est-à-dire une séquence qui au tout début de l’histoire fournit une clé de compréhension à l’entièreté du récit. Cette clé, c’est celle de l’autorité. L’Evangile de Marc est en effet traversé par cette question de l’autorité.

Dans le récit que nous venons d’entendre, il y a d’un côté Jésus —et son autorité qui frappe et est mise en question— et de l’autre, ceux qui sont du côté du savoir, du pouvoir, de la connaissance: les scribes, et même des esprits impurs !

Voilà deux pôles qui ne cesseront de s’affronter par la suite dans tout l’évangile! Pour nous rappeler que l’autorité n’est pas de l’ordre du pouvoir ! Mais ce qui est frappant dans ce récit —vous l’aurez sans doute remarqué— c’est que l’esprit impur ne se trompe pas. Il reconnait immédiatement l’identité du Christ.

Il est d’ailleurs la première créature à le faire depuis le baptême du Christ… “Je sais qui tu es, le Saint de Dieu” dit-il. Comme pour nous dire qu’il ne suffit pas de connaître la vérité, il faut avant tout en vivre ! Dans toute relation, il ne s’agit pas simplement de connaître, de savoir, encore faut-il que cette connaissance de l’autre amène des gestes concrets, soit incarnée.

Ce qui donne de l’autorité à une parole, ce n’est pas ce qu’elle dit, mais justement son efficacité à toucher, à guérir, à transformer. “Tu crois que Dieu est un ! La belle affaire. Les démons le croient aussi !” écrira l’apôtre Jacques. Voilà ce que nous rappelle ce récit au tout début de l’Evangile de Marc. Voilà qui est nouveau par rapport à l’enseignement des scribes. Croire, c’est avant tout croire en quelqu’un, c’est-à-dire s’en remettre à lui, lui accorder sa confiance. Il ne s’agit pas d’une certitude, une foi sans risque…

Cela, tout le monde peut le faire, mêmes les esprits plus démoniaques. Ceux-ci croient sans faire confiance. Croire en quelqu’un, en l’autre, en Dieu: seuls peuvent s’y aventurer ceux qui aiment. Car accorder sa confiance, c’est ce qui nous fait sortir de nous mêmes, qui expulse loin de nous nos démons, pour tendre vers l’autre, et nous en remettre à lui.

L’autorité se donne, elle ne se prend pas. Et voilà bien l’erreur qui peut parfois nous traverser. Il y a en effet au fond de chacun et chacune une sorte de méfiance, que les événements et les blessures de la vie ont peut-être fait grandir en nous. Une forme de suspicion, un sentiment qui refuse la réalité telle qu’elle est, qui comprend l’autorité comme du pouvoir. L’esprit impur dans l’évangile, c’est finalement la figure du paranoïaque ! “Es-tu venu pour nous perdre” dit l’esprit impur.

Comme pour tout rapporter à lui dans un sentiment de victime. Paranoïa signifie d’ailleurs “contre l’esprit”. Et non au sens pathologique mais le plus large, il y a parfois de la paranoïa qui nous guette. Lorsque de la méfiance s’installe. Nous sommes dans une société où l'autorité n'est plus une valeur recommandée. On la confond trop souvent avec le pouvoir qui menace toujours de verser dans un certain autoritarisme. Avoir de l'autorité, ce n'est pas imposer des choses aux autres, même si c'est pour leur bien.