Publié le : 01/10/2021 – 15:01
Pour la première fois de l’histoire de la Tunisie et du monde arabe, une femme a accédé mercredi au poste de cheffe de gouvernement. Mais la nomination de Najla Bouden, illustre inconnue en politique, pose question alors que le président Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs après le coup de force du 25 juillet.
Sa nomination a stoppé net les conjectures des observateurs de la politique tunisienne. Pas d’économiste ni de proche du président à la tête du gouvernement, mais une femme inconnue de tous ou presque. De Najla Bouden, désignée mercredi 30 septembre Première ministre par Kaïs Saïed, on ne dispose d’à peine plus d’informations que sur un curriculum vitae. Née en 1958 et originaire de la ville de Kairouan, cette scientifique de formation, docteure en géologie, a été chargée de mission, puis directrice générale au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Avant sa nomination surprise, elle était chargée d’un projet de réforme universitaire. Tous ceux qui l’ont côtoyée de près saluent la qualité de son travail et la solide réputation qu’elle s’est constituée dans le domaine de l’enseignement.
À l’annonce de son nom, le caractère “historique” de la nomination d’une femme à la tête du gouvernement a été mis en avant. À commencer par le président lui-même, qui a martelé que c’était “un honneur pour la Tunisie et un hommage à la femme tunisienne”. Une nomination pas si surprenante, selon Armelle Charrier, chroniqueuse en politique internationale à France 24. “La Tunisie est l’un des pays les plus ouverts dans ce domaine par rapport à d’autres pays de la région. Les Tunisiennes ont l’habitude de prendre la parole et de discuter de la Constitution. Ce sont des héritières de l’ère Bourguiba, qui a octroyé beaucoup de droits aux femmes, à commencer par l’interdiction de la polygamie en Tunisie et le droit au divorce.”
Une communication bien orchestrée
Si le choix d’une femme comme cheffe du gouvernement ne surprend pas tant que cela, difficile de ne pas voir dans ce geste une “rouerie politique” de Kaïs Saïed, poursuit la journaliste. “Il s’agit d’un coup de communication évident. C’est d’abord une manière de faire parler de lui et de la Tunisie. Le président tunisien, que l’on sait conservateur et réservé sur la question de l’héritage des femmes qui divise le pays, se prémunit ainsi d’éventuelles accusations de manque d’ouverture d’esprit au sujet des femmes.” C’est en effet “un signal qu’il entend envoyer aux modernistes de son pays et à la communauté internationale pour estomper son image de conservateur sur la question des mœurs”, abonde Khadija Mohsen-Finan, professeure à l’université Paris I, contactée par France 24.
Au cas où l’on n’aurait pas compris qu’il n’est pas hostile à la cause féminine, la vidéo du président recevant la nouvelle recrue dans son bureau laisse apparaître des indices supplémentaires – signe d’une communication soignée. Sur le bureau, une photographie montre le chef de l’État avec un groupe de femmes fabriquant des poteries à la Cité Hlél, quartier populaire du sud de Tunis. Une visite effectuée le 13 août dernier… jour anniversaire du Code du statut personnel de 1956 visant à plus d’égalité entre femmes et hommes.
Un simple rôle de conseil ?
Le choix d’une personnalité issue de la société civile n’est pas non plus très étonnant. Kaïs Saïed n’étant pas l’apparatchik d’un parti, il a naturellement choisi une personne éloignée du sérail politique. “Cette nomination traduit une nouvelle fois la méfiance qu’il nourrit à l’égard de toute la classe politique. Il reste dans la droite ligne de son programme basé sur la lutte contre la corruption. C’est une nomination parfaitement cohérente”, résume l’enseignante.