La résurgence de la dictature en Haïti s’explique objectivement par l’impuissance et l’insignifiance des réseaux culturels. Par manque d’intelligence et d’humanité, ils ont préféré entretenir leurs succès précaires, en proximité avec les réseaux d’accointances mafieux, plutôt que de faire vivre la liberté et la dignité par le courage et l’exemplarité.
Dimanche 21 février 2021 ((rezonodwes.com))– Il est pénible d’entendre et de lire les angles d’analyse, plats et simplifiants, que proposent, dans leur écrasante majorité, les éditorialistes, les journalistes et les directeurs d’opinion haïtiens, pour situer, ce que tout le monde appelle, depuis le 7 février 2021, le retour à la dictature en Haïti. Parmi les biais relevés dans le décryptage de la conjoncture politique haïtienne, on peut en retenir deux qui semblent majeurs, par l’adhésion qu’ils suscitent et par l’impensé analytique qu’ils charrient.
On retiendra que c’est la généralisation de cet impensé analytique en impensé structurel qui est à la base de cette errance dans laquelle Haïti se présente au monde : un collectif agonisant n’arrivant pas à maitriser son destin. Et, puisque je ne suis pas là pour faire des amis, rappelons que c’est la force de l’impensé qui séduit et attire en Haïti. Car les réseaux culturels et médiatiques haïtiens sont des étouffoirs qui ne laissent échapper que des poussières de cendre ou ce qui est subventionné et dicté en haut lieu.
Aujourd’hui, les seuls angles d’analyse privilégiés et popularisés dans les réseaux médiatiques sont ceux qui éclaboussent Jovenel Moïse. Pour cause, beaucoup ont des intérêts dans le système et ne cherchent pas à aller au-delà du replâtrage. D’où le besoin de toujours regarder ailleurs que là où l’on oriente le regard de la foule. D’où l’impérieux besoin de s’attaquer à cet impensé dans ses causes racines. Et cela, sans aucune concession, pour offrir aux générations futures les clés qui leur permettront de réussir là où des générations passées et présentes ont galéré, erré et échoué pendant 217 ans. Mais en attendant d’arpenter les lieux de cet impensé structurel, venons-en aux deux biais analytiques qui déforment la réalité politique haïtienne et orientent vers un nouveau cycle de rafistolages.
De l’impensé structurel à l’impasse problématique
Le premier biais se trouve dans l’assertion, globalement partagée, que Jovenel Moïse est l’homme fort qui a vandalisé toutes les institutions démocratiques haïtiennes en ramenant le pays sur la voie de la dictature. Le second est dans le postulat laissant croire qu’Haïti ne fait que perdre du temps et gâcher des opportunités historiques qui s’offrent à elle. Si dans le premier cas l’analyse est complètement trompeuse, dans le second cas, elle est incomplète et dangereuse. Car, en faisant apparaitre le temps comme un facteur à optimiser, on pousse vers des solutions d’urgence. Or celles-ci ne font qu’occulter la perspective globale et complexe de la problématique de la défaillance haïtienne. Dans les deux cas, on se trouve face à une impasse qui force à rester à la surface du problème en laissant invariant le contexte global et local qui ramène le pays incessamment à des cycles d’instabilité.
De fait, toutes les solutions proposées semblent s’aligner sur la vision de Frédéric Thomas pour qui c’est l’international qui doit se désolidariser de Jovenel Moïse pour que celui-ci quitte le pouvoir. S’il est vrai que c’est par le soutien de ladite communauté internationale que Jovenel Moïse est maintenu au pouvoir, il n’en est pas moins vrai que c’est parce que celui-ci présente un profil indigent qui répond aux attentes et satisfait aux intérêts du blanc. Mais, l’histoire politique récente d’ici et d’ailleurs tend à prouver que le soutien de cette communauté internationale à un homme ou à un régime n’est pas irrécusable. D’ailleurs aucune alliance ne peut s’imposer à la résistance réelle d’un peuple prêt à assumer son destin. Cuba, Venezuela en sont de vibrants exemples.
Notre propos est de surfer sur ces biais analytiques pour mettre en débat une version divergente de la réalité haïtienne et offrir des pistes capables de faire émerger les bonnes variables pour l’action. C’est ce que nous dit la pensée complexe : « l’intelligence de l’action suppose comme préalable l’intelligence de la réflexion ». En effet, selon la démarche scientifique un problème non résolu est soit un problème mal posé, soit un faux problème. Quand un problème est mal posé, il renvoie à une déficience cognitive. C’est ce que j’appelle l’impensé analytique. C’est lui qui rend les évènements inintelligibles par l’incapacité à saisir les signaux et à décoder les alertes permettant t de se situer dans l’anticipation face aux incertitudes. Cette déficience analytique est ce que le sociologue Gérald Bronner appelle l’Apocalypse cognitive[1]. Par contre, quand on est face à un faux problème, on est dans une perspective plus terrifiante, plus déshumanisante, puisque confronté à un effondrement de la conscience qui autorise à assumer toutes les impostures, toutes les escroqueries au nom de ses intérêts.